Je vous propose une expérience réalisée avec la complicité de la Cie Châteaux de Sable : la mise en image d'un extrait de texte, tiré de leur dernière création "Je suis un endroit", librement inspirée de l'oeuvre d'Alessandro Baricco.



L'autre jour il m'est arrivé une aventure assez extraordinaire avec mes tubes. Voilà ma voiture est tombée en panne. Il a donc fallu que je m'organise... avec mes tubes. J'ai dû prendre le train.

Et je suis arrivée une bonne vingtaine de minutes à l'avance. Je vous dis cela, c'est important, car 5mn avant que le train n'arrive, le chef de gare ne laisse plus passer personne. Oui, car la gare d'où je partais à ceci de particulier que vous avez ce passage, là, au milieu de la voie, pour les piétons. Et 5min avant que le train n'arrive, vous n'avez plus le droit de traverser, car il parait que c'est trop incertain. En effet, si le train s'arrête avant le passage, vous pourrez prendre votre train, dans le cas contraire, s'il s'arrête après, eh bien, vous devrez attendre le suivant. Je le sais car cela m'était déjà arrivé une autre fois, et je déteste être en retard.




C'est quand même incroyable, le chef de gare ne sait pas si le train va s'arrêter avant ou après le passage sur la voie... Heureusement pour moi que je suis organisée...
C'est quand même incroyable, je serais prête à parier que le chauffeur du train lui-même ne sait pas s'il va s'arrêter avant ou après le passage sur la voie.




Oui, parce que je ne vous ai pas dit qu'après le train, il a fallu que je prenne le métro avec mes tubes... Et là, je savais que ce serait compliqué...




Alors j'étais là, le métro est arrivé, j'ai laissé les gens descendre et juste au moment où je m'apprêtais à monter, j'ai senti qu'il fallait que je me retourne, et il y avait cette femme qui descendait l'escalator, avec sa grosse valise. Je l'ai regardée, je l'ai laissée monter, et alors je ne sais pas ce qui s'est passé, mais au moment d'entrer dans la rame, la porte s'était refermée.
Et j'ai horreur d'être en retard...




Bon, lorsque le métro suivant est arrivé je ne me suis pas fait avoir. J'ai anticipé. J'ai pris soin de calculer l'inclinaison idoine... Oui car les portes du métro sont assez basses et mes tubes assez long. Alors afin de ne blesser personne et de ne pas non plus abîmer mon matériel... Enfin, voilà, je vous montre, on ne sait jamais, cela peut vous être utile. C'est assez simple, mais précis.
Le métro est arrivé. Je me suis postée sur le côté de la porte. J'ai laissé les gens sortir et... Hop !




Après le voyage s'est plutôt bien passé. Bon, j'ai bien noté que certaines personnes me regardaient d'un air dubitatif. "Mais que peut-elle bien faire avec ses tubes ?" Mais étrangement, personne n'a osé me poser la question.
C'est drôle, hein ?




Je ne sais pas ce qui s'est passé, je me suis complètement perdue... Quand je suis sortie du métro je savais qu'il fallait que je prenne à droite, et je ne sais pas pourquoi : j'ai pris à gauche... Et puis ça a été une succession d'impasses. Toutes les rues se ressemblaient. J'ai pourtant un très bon sens de l'orientation. Il suffit que je passe une fois dans un endroit pour m'en souvenir toute ma vie.
Et puis, à l'évidence, j'étais très en retard...




Et je suis arrivée dans ce square…C'était tout entouré d'immeubles, ils n'étaient pas trop hauts et laissaient passer la lumière.
Et il y avait cet homme à la fenêtre, qui me regardait, et je le regardais...
Et toute cette lumière tout autour.
Et j'étais là avec mes tubes...
Et je ne sais pas ce qui m'a pris, je me suis imaginée, moi, là, avec un bazooka... Et je me suis dis que si je pouvais imaginer une chose pareille, peut-être que cet homme à la fenêtre aussi pouvait imaginer la même chose que moi, et que si c'était le cas, il était tout à fait possible qu'il appelle la police...




Et il y avait toute cette lumière, tout autour... Pas comme la lumière du soir, quand le soleil te prend sur le côté, quand c'est comme ça, c'est une manière plus douce, les ombres se couchent démesurément, c'est une manière qui a en elle quelque chose d'affectueux - ce qui explique peut-être comment il se fait qu'en général il est plus facile de se croire bon, le soir - alors qu'à midi, au contraire, on pourrait presque assassiner. Ou pire : avoir l'idée d'assassiner. Ou pire : s'apercevoir qu'on serait capable d'avoir l'idée d'assassiner. Ou pire : se faire assassiner.
Bon.




C'est étrange, car lorsque j'ai quitté le square, je me suis retrouvée sur cette pelouse, avec un grillage tout au fond. Et au milieu du grillage, il y avait un énorme trou. J'ai pensé que c'était probablement des enfants du quartier qui l'avaient fait, pour créer un raccourci dans ce dédale. C'est étonnant comme parfois c'est au moment où vous vous sentez le plus perdu que vous l'êtes finalement le moins... Je me suis approchée du trou et j'ai réalisé que si je passais au travers, avec mes tubes, une fois de l'autre côté, je ne serais plus qu'à quelques pas de l'endroit où je devais me rendre !




Bon...